lundi 29 juin 2009

Ces mystérieux Gages d'Amour (1ère partie)

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Pendant que vous lisez ceci, un certain nombre de chercheurs, de part et d'autre de l'Atlantique, passent au crible des centaines et des centaines d'images de marquoirs, en tentant de résoudre un mystère de longue date. Il se peut que vous puissiez les aider.

Il fut un temps, il y a 200 ans, où il n'y avait aucun mystère. Pour les jeunes filles, toutes vêtues de coiffes blanches et de tabliers à carreaux, passant leurs précieux moments de liberté en silence ou en conversations agréables, rien n'aurait pu être moins mystérieux. Elles brodaient leurs marquoirs, tout simplement. De temps en temps, peut-être à la fin d'une aiguillée, elles auraient levé le nez, et admiré leur ouvrage, ou celui de la camarade assise à côté d'elles, et elles auraient vu ces motifs banals, les mêmes qu'il y avait sur tous les autres marquoirs que les filles de leur "famille" brodaient.

S'il y avait là un mystère, c'est que pendant un moment elles avaient oublié le froid qui descendait des landes du nord, au-delà des limites des murs de l'école qui les enfermaient; oublié aussi le goût aigre du maigre ragoût de mouton appelé "la soupe du matelot" servi au dîner (même si un vide douloureux dans leur estomac contredisait le fait qu'elles venaient de manger).

Ces filles quaker de l'école d'Ackworth étaient contentes d'être débarrassées de l'ennuyeuse et monotone obligation de coudre des ourlets sans fin sur les innombrables draps nécessaires aux pensionnaires de l'école - "leur famille". Quand par hasard il n'y avait plus de draps à ourler, il y avait encore les habits des garçons à repriser, troués ou déchirés dans quelque sauvage reconstitution de la guerre de Troie, et quand tout cela était achevé, il restait encore une commande de draps de bébés à terminer pour une voisine du village.

Maintenant, enfin, en travaillant sur leurs marquoirs, les filles pouvaient broder pour leur plaisir. Elles avaient la possibilité de choisir des motifs qui leur plaisaient, et les soies les plus vives : roses, mauves, jaunes, vert pré et bleues. Comment elles pouvaient se procurer ces soies colorées avec le sou d'argent de poche qu'elles recevaient par semaine est l'objet de conjectures. Peut-être que ces soies étaient des cadeaux envoyés de chez elles par une mère aimante qui s'ennuyait de sa fille - car elles ne pouvaient voir leurs filles pendant les trois ou quatre ans durant lesquels elles étaient au loin, à l'école. Mais pourtant à cette époque, les familles des fillettes étaient considérées comme "ne vivant pas dans l'abondance". Peut-être alors que les soies provenaient de dons philanthropiques des "Amis" (nom que se donnaient les quakers entre eux, NDLT) plus fortunés. Ou bien, les filles, suivant en cela le modèle des Sociétés de Prévoyance des Quakers, avaient peut-être mis en commun leur argent de poche pour acheter des soies qu'elles se partageaient.

Y avait-il une maîtresse de couture assise au-milieu d'elles, contente elle aussi de prendre un peu de loisir loin des contraintes de la couture ordinaire. Est-ce que les fillettes lui montraient leurs marquoirs, lui demandaient son avis à propos du dessin ou du choix des couleurs, ou même recopiaient un nouveau motif d'après son marquoir? Une des choses que nous pouvons dire en examinant les ouvrages conservés à Ackworth, c'est que mes motifs et les modèles étaient rarement recopiés avec exactitude. Il y a habituellement des changements dans le comptage des points, ou des variations dans de petits éléments du dessin, ce qui fait que chaque motif est différent des autres, même si à première vue, ils peuvent sembler identiques.

Les fillettes devaient probablement avoir donné des noms aux motifs, pour les distinguer les uns des autres dans la conversation.
- "Qu'est-ce que tu vas broder, après?" a dû demander une gamine a une autre.
- "Le Champ de Blé", "la Passiflore" ou "Les Tourterelles" a pu être la réponse.
Nous n'avons plus aucun moyen de le savoir maintenant, parce qu'à notre connaissance, ces noms n'ont jamais été consignés. Mais dans les sociétés où les motifs de broderie et de tricot sont encore transmis de génération en génération, ils portent des noms, afin qu'on puisse en parler et les visualiser avec plus de facilité.

On peut seulement deviner si une signification morale ou un symbolisme religieux est attaché à ces motifs, ce qui en aurait fait un système d'enseignement en eux-même. Et si ces motifs sont symboliques, alors que signifient-ils? L'écureuil et le gland se retrouvent dans le Manuel de la Femme Pratique - un livre de lectures. Le message d'après le livre est de ne jamais laisser la nourriture au hasard, mais de faire des provisions pour les temps de vaches maigres. Le cygne glissant sur le lac est mentionné dans les fables d'Esope, un livre présent lui-aussi à l'école, et symbolise l'imbrication de la vie et de la mort. Il y a aussi cette couronne de feuilles enserrant les mots "Un Gage d'Amour" ("A Token of Love"). Un gage d'amour pour qui? Un père? Un frère? Quelqu'un de malade? Quelqu'un d'emprisonné? En fait, on pense qu'il s'agissait d'une sorte de chaîne, portant témoignage de l'amour divin, qu'on se transmettait d'"ami" à "ami".

Jacqueline Holdsworth

(et illustrations "maison")

A suivre......


3 commentaires:

  1. j'adore ces motifs là
    j'ai brodé les petites colombes pour le cygne je ne sais plus si il diffère légèrement, un petit livret de with my needles sur lequel j'avais craqué.
    ce dégradé de bleu est superbe

    encore merci pour cette traduction
    ktia

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  2. merci Paule, c'est passionnant...

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